Carnet Spirituel n°69 : La Contemplation – Regard sur Dieu et sur nous-même II

Éditorial

Puisque nous continuons nos réflexions sur la vie contemplative, il est un aspect assez important sur lequel il faut nous arrêter pour en saisir la difficulté mais aussi la nécessité : la solitude.

Même dans une communauté religieuse contemplative, la contemplation demeure un acte personnel, par lequel l’âme s’ouvre et se livre à Dieu ou à Jésus-Christ, et cela demande silence et solitude. Il y a certes une contemplation collective, celle de la liturgie qui est la contemplation de l’Église, mais c’est autre chose que « ma » contemplation, qui se nourrit sans doute de celle de l’Église, mais demeure la mienne. Mon âme est unique et même au sein de l’Église ou d’une communauté religieuse, cette âme qui est la mienne est née d’un acte personnel et unique de Dieu et entretient avec Lui des rapports singuliers, personnels qu’il m’est même difficile d’exprimer et de communiquer.

C’est un peu différent, mais j’aime assez ce passage du P. Lacordaire, extrait de sa vie écrite par le P. Chocarne.

« Les âmes faibles et peu élevées, disait-il, trouvent ici-bas un aliment qui suffit à leur intelligence, qui rassasie leur amour. Elles ne découvrent pas le vide des choses visibles, parce qu›elles sont incapables de les sonder jamais fort avant. Mais une âme que Dieu, dans la création qu›il en a faite, a rapprochée davantage de l’infini, sent de bonne heure la limite étroite qui la resserre : elle a des tristesses inconnues, sur la cause desquelles longtemps elle se méprend ; elle croit volontiers qu›un certain concours de circonstances a troublé sa vie, tandis que le trouble vient de plus haut. 

Il est remarquable, dans la vie des saints, que presque tous ont senti cette mélancolie, dont les anciens disaient qu’il n’y a pas de génie sans elle. « En effet, la mélancolie est inséparable de tout esprit qui va loin, de tout cœur qui est profond. Ce n’est pas à dire qu’il faille s’y complaire ; car c’est une maladie qui énerve, quand on ne la secoue pas, et elle n’a que deux remèdes, la mort ou Dieu. » 

Sa manière d’aimer lui faisait aussi rechercher la solitude. Timide et réservé avec ses amis les plus intimes, l’absence rendait à son cœur la liberté de ses mouvements. « J’ai toujours eu besoin de la solitude, avoue-t-il, même pour dire combien j’aimais. » Sa retraite se peuplait alors des images chéries, et, libre de tout scrupule, affranchi de tout lien, son âme étreignait l’âme aimée, lui versait à flots des trésors de tendresse, lui parlant en silence ce langage du cœur qui tout à la fois se refuse à l’expression et la recherche avec douleur. « Je pèse ce que je dis, malgré moi, pour ne pas paraître trop naïf et trop aimant. Je vous parlerais bien plus tendrement si je n’étais plus hors de l’âge où le cœur s’épanche avec une entière liberté. » Il écrit à un ami, d’une chambre d’auberge en Italie : 

« Tu remplis ma solitude, cette petite chambre où l’on me sert comme un seigneur pour mon argent, et où, le service fini, je reste seul comme un hibou. » Après une de ces heures d’effusion : « Vous venez, écrit-il, de me donner une des plus belles matinées que j’aie eues depuis longtemps : me voici tout jeune, tout vivant, mais pas encore assez pour vous embrasser comme je le voudrais, – ce que je fais cependant le moins mal que je puis avec la permission de Dieu et la vôtre. »

C’est encore d’une de ces retraites préférées qu’il écrivait : « La solitude rapproche tandis que la foule disperse. C’est ce qui fait qu’il y a si peu d’intimité dans le monde, au lieu que les hommes habitués à vivre solitairement creusent leurs affections. Je n’ai jamais vécu avec les gens du monde, et je crois difficilement à ceux qui habitent cette mer où le flot pousse le flot sans que jamais rien y prenne consistance. Les meilleurs perdent à ce frottement continuel, qui, en enlevant toutes les aspérités de l’âme, y détruit aussi la puissance de s’attacher fortement. Je crois la solitude aussi nécessaire à l’amitié qu’à la sainteté, au génie qu’à la vertu. »

Abbé Michel Simoulin