Carnet spirituel n° 41 : Le péché originel

Éditorial
Ces conférences sur le péché originel sont peut-être les plus
« décalées » par rapport à la pensée moderne, qui ne veut plus entendre
parler de l’homme autrement qu’avec admiration, pour chanter ses droits
inaliénables et sa totale liberté par rapport à toutes les contraintes,
même celles de sa propre nature. Les ahurissantes absurdités relatives à
la théorie du genre, du mariage, ou de la jupe pour tous… nous ont
habitués à tout entendre sauf la voix du bon sens, lequel n’est pas mort
et que nous rappelle le Père.
D’autres le font et
l’ont fait avant lui, et l’Église ne peut cesser de le redire aux hommes
si elle veut les conduire à la vie éternelle, et à Jésus-Christ sans
lequel nous ne pouvons rien faire, en raison de notre infirmité
naturelle.
Le cardinal Pie usait de formules fortes
pour enseigner ses fidèles, et sa parole nous choquera peut-être par sa
force et sa clarté, mais elle est plus vraie que jamais :
« Séparée, et dépouillée du Christ, la nature humaine constitue
pleinement ce que les saintes Écritures appellent « le monde » ; ce
monde dont Jésus-Christ n’est pas, pour lequel il ne prie pas, auquel il
a dit malheur ; ce monde dont le diable est le prince et la tête, et
dont la sagesse est ennemie de Dieu à ce point que, vouloir être ami de
ce siècle, c’est être constitué adversaire de Dieu ; ce monde qui, parce
qu’il ignore le Christ sauveur, sera ignoré du Christ rémunérateur :
Qui ignorat, ignorabitur, et recueillera la terrible sentence : « Je ne
vous connais pas » ; ce monde enfin dont les voies aboutissent à
l’enfer.
Tant que dure la vie présente, c’est l’œuvre de la
grâce, par conséquent l’œuvre de l’Église, de retirer les créatures de
cet état de mondanité, en les rendant à Jésus-Christ, et, par
Jésus-Christ, à leur destination bienheureuse. Certes, elles s’y
emploient intérieurement et extérieurement, avec une persistance que
rien n’arrête, avec un amour que rien ne déconcerte. Mais si la nature
demeure rebelle à l’encontre de tous les efforts de la grâce et de
l’Église, si elle ne se laisse pas éclairer, affranchir, racheter,
restaurer par leur action surnaturelle, si elle reste mondaine, profane,
terrestre, par cela seul et indépendamment de tout autre délit, elle
est sous le coup de la disgrâce et de la damnation.
À considérer son état actuel et réel, et nonobstant la bonté
persistante de ses éléments essentiels, la nature est « péché ».
Qu’on parle tant qu’on voudra des droits de l’homme : il en est deux
qu’il ne faudrait point oublier. L’homme apporte en naissant le droit à
la mort et le droit à l’enfer. Ce n’est que par Jésus-Christ
qu’il peut revendiquer le droit à la résurrection et à la vie
bienheureuse. Quant à replacer l’homme en dehors de Jésus-Christ, de
façon à lui refaire un ordre de pure nature, avec une fin purement
naturelle et un droit à la béatitude naturelle, tous les efforts du
naturalisme n’y parviendront jamais. »
(Cardinal Pie. IIIe instruction synodale sur les erreurs du temps présent, 1863)
J’aime assez, également, ces autres réflexions à l’expression plus douce, mais tout aussi vraies d’Ernest Hello :
« Il
est fort intéressant de remarquer le contraste intérieur qui existe
entre le carnaval et le Carême. Ils se suivent et s’opposent l’un à
l’autre.
Je caractériserais volontiers ce contraste par un mot.
Le carnaval, c’est celui qui déguise.
Le Carême, c’est celui qui ôte le masque.
Le carnaval habille l’homme en héros ou en Pierrot.
Le Carême invite l’homme à se considérer, dans le tête-à-tête, tel qu’il est.
Or, je ne crains pas de l’affirmer, tout homme qui a ôté son
masque et qui se regarde, tel qu’il est, verra en lui ces quatre
choses : un enfant – un ignorant – un malade et un coupable.
Enfant, il a besoin d’un père ;
Ignorant, il a besoin d’un docteur ;
Malade, il a besoin d’un médecin ;
Coupable, il a besoin d’un juge.
Or, voilà le prêtre dans son type idéal, père, médecin, docteur
et juge. Mais, quel juge ! Le juge qui pardonne. Voilà le juge dont
l’homme a besoin. » (Ernest Hello – le siècle. Le carême)
Et il résumait ces pensées dans une belle prière :
« Ô
Sagesse éternelle, qui savez que chacun de nous porte en lui un enfant,
un malade, un ignorant et un coupable, dirigez, pacifiez, purifiez,
illuminez les désirs qui nous élèvent vers Vous, afin que la route soit
aussi droite et aussi sûre que le terme est sublime ! »
Entre cet état de misère et la béatitude promise, il n’y a qu’une
voie : Jésus-Christ, « voie, vérité et vie », en qui se concentre toute
notre vie de foi, d’espérance et d’amour.
Et sur
cette voie, il n’y a qu’un obstacle : le péché, ce péché que nous
concevons si mal, et dont la définition la plus juste nous a été laissée
par le bon Padre Pio, dans ce témoignage d’un jeune moine :
« Un jour…c’est lui qui voulut se confesser à moi. Comme je tentais
d’échapper à cette tâche (j’étais tout jeune), lui se mit à réciter: « Confiteor Deo omnipotenti… »
Je fus contraint de rester. Quand il eut fini l’accusation de ses
péchés, il se produisit quelque chose qui m’a profondément déconcerté :
Padre Pio éclata en sanglots impossibles à réfréner. Pour le consoler,
j’essayai de lui dire qu’il n’y avait aucune raison puisqu’il avait si
peu de fautes. Alors il intervint : « Mon fils, toi tu penses que le
péché consiste à transgresser une loi. Non! Le péché est trahison de
l’amour. Qu’a fait pour moi le Seigneur et moi, qu’est-ce que je fais
pour lui ?… ». Il en avait pourtant fait des choses en vérité: il lui
avait donné sa vie, son sang … mais c’était si peu eu égard à ce qu’il
aurait voulu faire, en réponse à l’amour de Jésus ».
Puissions-nous retenir cela : « Tu crois que le péché c’est la transgression de la loi ? Non ! Le péché, c’est la trahison de l’Amour… »
Bonne et fructueuse lecture, que nous poursuivrons dans notre
prochain carnet avec des conférences sur la pénitence, vertu et
sacrement.
Abbé Michel Simoulin