Carnet spirituel n° 40 : Les Anges

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Éditorial

Nous savons que sainte Jeanne d’Arc, parmi bien d’autres saints, a vécu en familiarité avec les anges, et durant son procès, quand ses juges lui demandent : « Avez-vous vu saint Michel et les anges corporellement et réellement ? ». Elle répond : « Je les ai vus de mes yeux, corporellement et réellement, aussi bien que je vous vois. Et quand ils parlaient de moi, je pleurais ; et j’eusse bien voulu qu’ils m’emportassent avec eux ».

On demande encore à Jeanne : « À quoi avez-vous reconnu que c’était saint Michel ? » – « À son parler d’ange ». Voilà une réponse qui nous fait rêver. Un cœur pur connaît le parler des anges, avant même que de l’entendre pour la première fois. Il le reconnaît aussitôt, avec tant de certitude qu’il lui fait identifier l’interlocuteur. Nous sommes d’avance accordés avec le paradis. Ses messagers peuvent nous causer quelque surprise, mais si nous sommes de ces petits dont Dieu est le Père, la conversation s’engage aussitôt.

Voilà bien l’effet qu’ils produisent : ils nous parlent de nous ! Ils nous arment pour nos combats ! Ils nous mènent où nous ne voulons pas aller ! « Va, fille de Dieu, va ! ». Ce faisant, ils augmentent pour nous l’amertume du monde. C’est miséricorde qu’ils ne se manifestent pas plus souvent. Mais leur venue, qui nous engage dans une lutte plus exigeante, éveille aussi en nous une générosité que nous ne connaissions pas et nous donne le goût de leur paradis. C’est que nous sommes bien leurs « compagnons de service », comme dit saint Jean.

Notre familiarité avec les anges a fait beaucoup rêver les hommes.

Si déjà les peintres étaient souvent impuissants à représenter les anges tels qu’ils se sont montrés, ils doivent tout à fait donner leur démission quand il s’agit de pénétrer dans la vie personnelle de purs esprits. L’écart même qui existe entre les réalités invisibles et les moyens dont disposent les peintres nous donnera sans doute un sentiment plus vif de la difficulté de l’art chrétien. Pourtant, ce sera pour déboucher à la fin sur cette idée que la peinture n’est pas si « vaine ». À force de vivre en pensée et par le cœur parmi les anges, on en vient à une certaine conception du monde et de la destinée, qui est précisément une conception de beauté. Beauté spirituelle, certes. Mais les artistes qui s’en sont pénétrés, en ont fait la transposition pour leurs yeux. Un au moins y a réussi et a mérité le titre d’angélique. Si nous espérons le retour d’un tel miracle, ce ne peut pas être d’une imitation, cela va de soi ; mais ce n’est même pas d’une transposition simplement plastique, je veux dire de l’effort que ferait un peintre pour repenser avec ses moyens à lui ce que Fra Angelico a réalisé avec ceux du Quattrocento. Le peintre devra, en profondeur, faire sienne la vision spirituelle que l’Église chrétienne a des créatures et de la vie, en vertu de sa familiarité avec les anges. Il lui faut vivre selon cette vision.

C’est d’elle qu’ont procédé les créations vraiment chrétiennes de l’art. Elle n’a pas perdu son pouvoir. Malheureusement, elle est méconnue. Que l’on ne s’étonne pas d’éprouver quelque difficulté à pénétrer dans le monde angélique : notre tournure d’esprit n’est pas favorable à cette familiarité-là. Mais qu’on ne se rebute pas. Je crois que la difficulté se dissipera vite.

Le Père va nous entraîner, en prenant toujours pour guide le Docteur angélique. Il va nous conduire à de belles sources de lumière.

Abbé Michel Simoulin